Serpents; on sait
enfin où ils sont nés!
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par Kheira Bettayeb.
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En comparant les gènes de
dizaines d'espèces de reptiles, deux chercheurs
viennent de mettre fin à une polémique
vieille de cent trente ans: c'est bien sur la terre
ferme, et non dans l'eau, que les serpents ont vu le
jour!
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Cela faisait plus de cent trente ans que le
débat sur l'origine des serpents faisait rage.
Comment sont apparus sur Terre ces étranges
animaux sans pattes qui se déplacent en rampant ?
D'un côté, les partisans d'une origine
terrestre clamaient haut et fort que l'ancêtre des
2 700 espèces actuelles de serpents
était un lézard apparu sur la terre ferme
et qui avait perdu ses pattes il y a 150 millions
d'années. De l'autre, les défenseurs d'une
origine marine arguaient que cet ancêtre tant
recherché était en fait un reptile marin,
le mosasaure, un monstre de plus de 10 mètres de
long disparu il y a 65 millions d'années et
doté sur aussi de pattes... Mais au début
de l'année, après avoir en partie
décrypté l'histoire de l'évolution
naturelles des reptiles, le Français Nicolas
Vidal, du Muséum national d'histoire naturelle, et
l'Américain Blair Hedges, de l'université
de Pennsylvanie, ont annoncé avoir résolu
l'énigme: "Nos résultats montrent
clairement que l'ancêtre des serpents ne pouvait
être que terrestre", triomphe Nicolas Vidal.
"Cette thèse de l'origine terrestre
était en fait acceptée par la
majorité des biologistes il y a encore une dizaine
d'années, ajoute-t-il. Mais en 1997, celle
d'une origine marine est revenue spectaculairement sur le
devant de la scène scientifique." A cette
date, en effet, l'Australien Mike Lee et le Canadien
Michael Caldwell étudièrent, à 20 km
au nord de Jérusalem, le fossile d'un serpent
marin avec de minuscules pattes arrières qu'ils
présentent comme le chaînon manquant entre
le mosasaure et les serpents. Baptisé
Pachyrhachis problematicus, comme pour souligner,
non sans ironie, le renouveau de la controverse, cet
animal semblait accréditer la thèse d'une
origine marine...
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CHRONOLOGIE
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1862-
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En analysant le fossile d'un reptile marin
doté de pattes qui vivait il y a 65 millions
d'années, le paléontologiste
américain Edward Drinker Cope affirme
l'origine marine des serpents.
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1923-
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Le naturaliste américain Charles Camp
étudie la morphologie des lézards
actuels et de fossiles et suggère que le
premier serpent vivait sur... la terre ferme.
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1997-
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L'Australien Mike Lee et le Canadien Michael
Caldwell trouvent un lien possible avec le
mosasaure:
un serpent fossile doté de pattes
arrière, appelé Pachyrhachis
problematicus. On revient à la
thèse de l'origine marine.
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Février
2004-
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L'Américain Blair Hedges et le
Français Nicolas Vidal comparent les
gènes de plusieurs espèces de
reptiles et tranchent en faveur de l'origine
terrestre.
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Recenser tous les
lézards!
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Une conclusion aujourd'hui contredite par les
travaux de Nicolas Vidal et Blair Hedges. Pour cela, ils
ont fait appel à une puissante technique, beaucoup
plus moderne, qui permet d'établir les relations
de parenté entre espèces en comparant leur
ADN: la phylogénie moléculaire.
Concrètement, à l'aide de méthodes
statistiques, les chercheurs ont comparé deux
gènes particuliers -RAG1 (un gène codant
pour une protéine recombinant l'ADN) et C-mos (le
gène d'une molécule indispensable à
la formation de l'ovule)- de 64 espèces vivantes
de reptiles répartis parmi 19 familles de
lézards et 17 des 25 familles actuelles de
serpents. Pour la solidité de l'étude, il
était en effet nécessaire d'analyser toutes
les familles de lézards recensées. "On
n'avait pas le choix, explique Nicolas Vidal.
Chaque famille de lézards était
susceptible d'être celle de l'ancêtre des
serpents. Et si nous avions omis ne serait-ce qu'une
seule d'entre elles, notre arbre aurait pu être
erroné..." En revanche, l'analyse
génétique d'une seule famille de serpents
aurait fait l'affaire; oui, mais les chercheurs ont voulu
faire d'une pierre deux coups: non seulement
étudier l'origine des serpents, mais aussi les
classer entre eux. Car la génétique de ces
reptiles est encore très mal connue... "Si la
technique de phylogénie moléculaire est
pratiquée depuis près de trente ans,
souligne Nicolas Vidal, jamais personne n'avait
songé à l'utiliser sérieusement pour
les serpents!" Il faut dire que la tâche est
particulièrement délicate.
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Exit le Mosasaure...
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"Le plus difficile a été de
collecter l'ADN des 64 espèces
étudiées", assure le biologiste
français. Et pour cause: un grand nombre de ces
reptiles sont des animaux rares, existant seulement dans
des contrées reculées... "L'animal le
plus difficile à obtenir a été une
espèce de boa dite Casarea dussumieri, l'un des
serpents les plus rares au monde dont la population
sauvage se limite à quelque 100 individus vivant
uniquement dans l'île Ronde au large de l'île
Maurice", confie Nicolas Vidal. Au bout de leur
traque à l'échelle mondiale, les chercheurs
ont ainsi dressé la première représentation
graphique de l'histoire évolutive des
serpents. Et que montre
cet arbre d'évolution ? "Que, contrairement
à ce que l'on pensait jusqu'ici, les serpents ne
sont pas les cousins des varanoïdes, un groupe
particulier de lézards, dont l'un des
représentants actuels est l'imposant dragon de
Komodo, ce reptile de près de 2,50m qui vit dans
les îles du Sud de l'Indonésie, explique
le chercheur. De quoi envoyer illico au placard la
thèse de l'origine marine!"
Pour comprendre leur raisonnement, il faut savoir que
les varanoïdes sont aussi le groupe dans lequel les
biologistes classent traditionnellement... le fameux
mosasaure que la thèse de l'origine marine
présente comme l'ancêtre des serpents! Donc,
en excluant les serpents des varanoïdes, les
chercheurs ont rompu tout lien de parenté entre
les serpents et le mosasaure. Ce reptile marin ne peut
donc être l'ancêtre des serpents... et la
thèse de l'origine marine énoncée
dès 1869 par le naturaliste Edward
Drinker Cope ne tient plus!
Question cependant: les serpents ne peuvent-ils pas
descendre d'un animal marin autre que le mosasaure ? Cela
laisserait la porte encore ouverte à
l'hypothèse d'une origine marine.
"Impossible, rétorque Nicolas Vidal.
Car tous les reptiles contemporains du mosasaure, donc
susceptibles d'être le fameux ancêtre des
serpents, vivaient sur la terre ferme..."
Autre question: et si le mosasaure n'appartenait pas,
après tout, au groupe des varanoïdes ?
C'est ce que suggère aujourd'hui l'Australien
Mike Lee.
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UNE BRANCHE A PART
En excluant les serpents de
la branche des lézards dits varanoïdes, à
laquelle appartient le mosasaure, les chercheurs ont
montré que ce reptile marin n'est pas l'ancêtre
des serpents, comme on l'a longtemps
cru. leur ancêtre serait terrestre, même
s'il n'a pas encore été identifié.
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Il ne
reste plus maintenant qu'à savoir quel fut
l'ancêtre de tous les serpents...
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"Cela sauverait à coup sûr
l'hypothèse d'un ancêtre marin tout en
prenant en compte notre résultat,
reconnaît Nicolas Vidal. Sauf que Mike Lee a
publié lui-même plusieurs études
montrant que la famille des varanoïdes devait
inclure le mosasaure..." Tous les
éléments semblent donc aujourd'hui
réunis pour affirmer que c'est bien sur la terre
ferme que les serpents ont perdu leurs pattes.
Mais il reste un problème en suspend: qui est
ce fameux ancêtre des serpents ?
L'arbre phylogénique établi par les deux
biologistes ne dit rien sur ce point pourtant
fondamental... "En fait, cette étude n'est que
la première phase d'un travail plus large,
précise Nicolas Vidal. Ici, notre but
était juste d'exclure la thèse marine. Ce
qui est désormais fait et inattaquable. La seconde
étape, elle, consistera à déterminer
l'identité de l'ancêtre le plus proche, qui
sera forcément terrestre!"
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Ramper: un avantage
sélectif
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Comment les chercheurs comptent-ils s'y prendre
? Pour quand le résultat ?
Sur ces points, concurrence oblige, le chercheur ne
dira rien. Mais peu importe. Car savoir que
l'ancêtre était terrestre suffit pour
commencer à réfléchir à une
autre question qui taraude les biologiste depuis sans
doute aussi longtemps que celle relative à
l'origine des serpents. A savoir: pourquoi ces reptiles
ont-ils perdu leurs pattes au cours de l'évolution
? Selon Nicolas Vidal, ces membres ont disparu,
justement, à cause du mode de vie terrestre de
l'ancêtre: "pour chasser, cette créature
devait sûrement s'enfoncer sous la terre et se
faufiler dans d'étroites galeries à
l'intérieur desquelles les membres gênent
plus qu'ils ne servent. D'où sans doute leur
abandon progressif au cours du temps." La reptation,
ce mode de locomotion très original
développé par les cobras, vipères et
autres crotales, se serait ainsi
révélé un avantage sélectif
déterminant pour ce lointain ancêtre, lui
permettant d'exploiter une niche écologique
jusqu'ici inoccupée. Une thèse à
vérifier une fois que l'on en saura plus sur cet
ancêtre mystérieux...
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"La phylogénie
moléculaire donne des résultats
solides"
Les résultats obtenus ici en
faveur d'une origine terrestre des serpents sont très
solides car ils dérivent de l'analyse de gènes
d'un grand nombre de reptiles par la méthode de
phylogénie moléculaire, une technique qui
présente d'énormes avantages par rapport
à la simple analyse des traits morphologiques.
Notamment, elle permet d'obtenir des résultats moins
ambigus, car il est plus facile d'analyser objectivement des
gènes que des caractères morphologiques. Mais
attention: aussi robuste soit-elle, cette étude ne
clôt pas encore définitivement le débat
sur l'origine des serpents. Des artefacts
expérimentaux sont toujours possible, surtout dans le
cas de gènes qui ont beaucoup évolué.
D'où la nécessité de vérifier
les résultats avec d'autres gènes. Les
conclusions des chercheurs doivent donc être soumises
à d'autres tests qui les confirmeront ou
révéleront une situation plus complexe. Quoi
qu'il en soit, les travaux de Nicolas Vidal et de Blair
Hedges ouvrent une nouvelle voie de recherche, qui fait
revivre une question ancienne.
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Sylvie Mazan,
directrice de l'équipe
CNRS, Évolution et développement des
vertébrés, Paris-Sud.
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