ÉSOPE, Les Fables-

[234] LES ABEILLES ET ZEUS Les abeilles, enviant leur miel aux hommes, allèrent trouver Zeus et le prièrent de leur donner de la force pour tuer à coups d'aiguillon ceux qui s'approcheraient de leurs cellules. Zeus, indigné de les voir envieuses, les condamna à perdre leur dard, toutes les fois qu'elles en frapperaient quelqu'un, et à mourir après. Cette fable peut s'appliquer aux envieux qui consentent à souffrir eux-mêmes des maux qu'ils font.

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[235] L'ÉLEVEUR D'ABEILLES Un homme, ayant pénétré chez un éleveur d'abeilles, en son absence, avait dérobé miel et rayons. A son retour, l'éleveur, voyant les ruches vides, s'arrêta à les examiner. Mais les abeilles, revenant de picorer et le trouvant là, le piquèrent de leurs aiguillons et le maltraitèrent terriblement. « Méchantes bêtes, leur dit-il, vous avez laissé partir impunément celui qui a volé vos rayons, et moi qui vous soigne, vous me frappez impitoyablement ! » Il arrive assez souvent ainsi que par ignorance on ne se méfie pas de ses ennemis, et qu'on repousse ses amis, les tenant pour suspects.

-PLATON, Phèdre-

Jadis les cigales étaient des hommes, de ceux qui existaient avant la naissance des Muses. Puis, quand les Muses furent nées et qu'on eut la révélation du chant, il y en eut alors, parmi les hommes de ce temps, qui furent à ce point mis par le plaisir hors d'eux-mêmes, que de chanter leur fit omettre le manger et le boire, et qu'ils trépassèrent sans eux-mêmes s'en douter ! Ce sont eux qui, à la suite de cela, ont été la souche de la gent Cigale. Elle a des Muses reçu le privilège de n'avoir, une fois née, aucun besoin de se nourrir, et de se mettre cependant, estomac vide et gosier sec, tout de suite à chanter jusqu'à l'heure du trépas, et puis après d'aller trouver les Muses pour leur rapporter qui les honore ici-bas et à laquelle d'entre elles va cet hommage. Ainsi, à Terpsichore, c'est sur les hommes qui l'ont honorée dans le chœur de danse que les cigales font leur rapport, lui inspirant pour eux de la prédilection ; à Érato, sur ceux dont les matières d'amour sont l'occupation ; et aux autres de même, selon la façon dont chacune est spécialement honorée.

-ÉSOPE, Les Fables-

[278] L'ÂNE ET LES CIGALES Un âne, ayant entendu chanter des cigales, fut charmé de leur voix harmonieuse et leur envia leur talent. «Que mangez-vous, leur demanda-t-il, pour faire entendre un tel chan ! — De la rosée», dirent-elles. Dès lors l'âne attendit la rosée, et mourut de faim. Ainsi, quand on a des désirs contraires à la nature, non seulement on n'arrive pas à les satisfaire, mais encore on encourt les plus grands malheurs.

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[335] LA CIGALE ET LE RENARD Une cigale chantait sur un arbre élevé. Un renard qui voulait la dévorer imagina la ruse que voici. Il se plaça en face d'elle, il admira sa belle voix et il l'invita à descendre : il désirait, disait-il, voir l'animal qui avait une telle voix. Soupçonnant le piège, la cigale arracha une feuille et la laissa tomber. Le renard accourut, croyant que c'était la cigale. «Tu te trompes, compère, lui dit-elle, si tu as cru que je descendrais : je me défie des renards depuis le jour où j'ai vu dans la fiente de l'un d'eux des ailes de cigale.» Les malheurs du voisin assagissent les hommes sensés.

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[336] LA CIGALE ET LES FOURMIS C'était en hiver ; leur grain étant mouillé, les fourmis le faisaient sécher. Une cigale qui avait faim leur demanda de quoi manger. Les fourmis lui dirent: « Pourquoi, pendant l'été, n'amassais-tu pas, toi aussi, des provisions? -Je n'en avais pas le temps, répondit la cigale : je chantais mélodieusement.» Les fourmis lui rirent au nez : «Eh bien ! dirent-elles, si tu chantais en été, danse en hiver.» Cette fable montre qu'en toute affaire il faut se garder de la négligence, si l'on veut éviter le chagrin et lé danger.

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LA MOUCHE ET LA FOURMI La mouche prétendait avoir des avantages qui rendaient sa condition fort supérieure à celle de la fourmi. Ce n'est pas sans raison, lui disait-elle avec orgueil, que je crois l'emporter sur toi. Considère quelle est ma vie : quelle créature vit plus noblement que moi ? Je ne travaille point : j'entre partout ou il me plaît, dans les palais, dans les temples ; et de quelles viandes je m'y nourris, dieu le sait ! Sur quelle bouche, sur quel sein ne puis-je me reposer ? Et tu voudrais, après cela, misérable, te comparer à moi, toi qui, tapie dans un trou, n'y subsistes qu'à peine de quelques grains à demis pourris, et encore ne les as-tu qu'à force de travaux et de fatigues. Il est vrai, répliqua la fourmi, que tu habites des palais ; mais on t'y regarde comme une importune : ces belles dont tu dérobes les faveurs, te chassent et te maudissent. Je conviens qu'en été tu fais meilleure chère que moi ; mais aussi en hiver comment vis-tu ? Tandis que reléguée par le froid au fond de quelque muraille, tu y mourras de faim et de misère, je vivrai, moi, sous terre, de mes provisions, et j'y jouirai, malgré la rigueur de la saison, des fruits de mon travail. Cesse donc, fainéante, de me mépriser. Si la façon de vivre est plus noble, la mienne est moins à charge et plus sûre.

 

 -ANACREON-

Que ton sort est charmant, trop heureuse Cigale !

Tu t'abreuves et vis de l'eau

Que verse l'aube matinale,

Et chantes tout le jour sur le haut d'un rameau.

De là contemplant la richesse,

Dont Pômone couvre les champs,

N'en disposes-tu pas en paisible Maîtresse ?

Les laboureurs aiment tes chants;

A personne jamais tu n'as fait de dommage.

Tout le monde, à t'ouir, y voit l'heureux présage

Des fécondes chaleurs qui mûrissent les fruits.

Phœbus et ses sœurs te chérissent.

Il t'a donné la voix qui charme tes ennuis.

Jamais les ans ne te flétrissent.

O Fille de la Terre au chant mélodieux !

Cigale, sage et bienfaisante,

Tu vis sans chair, ni sang, de maladie exempte.

Que te faut-il encor pour ressembler aux Dieux ?